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mardi 28 février 2012

Une petite Ayawavi est née


Marguerite, 19 ans, a accouché d'une petite fille, le 19 janvier vers midi.



Savalou, Bénin. Jeudi 19 janvier, 14 heures. Sur un lit à armatures métalliques à roulettes, dans la fournaise de la minuscule chambre commune de la maternité de Savalou, Marguerite et son bébé reposent sur un matelas sans drap. L'accouchement s'est déroulé sans complication il y a à peine deux heures, sous la conduite de Bérénice, l'infirmière de service.

 Le géniteur est attendu pour décider des prénoms du nouveau-né : prénom de baptême, prénom traditionnel, prénom du jour de la semaine, soit dans la langue régionale datcha, probablement ayawavi pour cette petite fille née un jeudi. L'esprit de Marguerite est encore accaparé par l'immense bataille pour la vie remportée par son corps. D'une boule de pagne, émerge un petit crâne. Toute la pièce baigne dans un bonheur et une sérénité surréalistes.

Un bâtiment vétuste

Un équipement rudimentaire, à l'entretien approximatif, rongé par la saleté.

Dans cet hôpital aux moyens dérisoires sans même l'eau courante, dans ce décor de poussière brunâtre qui macule, du sol au plafond, les murs, les serviettes de toilette, la table d'accouchement, la lessiveuse où l'on fait bouillir l'eau, les registres de prise en charge, les pharmacies de fortune, Doria, Bérénice et Gisèle, la sage-femme et les deux infirmières, sont le lien avec la modernité, le relais des accoucheuses traditionnelles (dont Gisèle assure qu'elles se raréfient), le vecteur moteur vers un affranchissement progressif de la femme, de la tradition.

La salle commune de la maternité
Bérénice, dans la salle de soins des nouveaux-nés.
 Le succès grandissant du suivi pré-natal est un marqueur significatif de l'évolution de la représentation qu'ont les femmes de leur propre maternité, perçue aujourd'hui par les jeunes générations davantage comme une histoire individuelle et de couple, que comme un évènement dont doit s'emparer toute la famille clanique. La crainte de la malédiction, de l'envoûtement ou de la sorcellerie rebute les jeunes femmes enceintes à déclarer trop tôt leur grossesse et à s'inscrire dans le suivi pré-natal dès les premiers mois. Malgré une gratuité intégrale de la prise en charge. < La consultation du 3e mois, la première prévue par le protocole, est suivie par moins de 30 % des femmes. 50 à 60 % viennent à la visite du 2e trimestre, et 70 à 80 % à celles des 7e et 8e mois, explique Gisèle. Quand on vient vite à l'hôpital, les femmes estiment que ce n'est pas bon. On pense que tout le monde dans le village ou dans le quartier va savoir que vous êtes enceinte... la voisine, le grand-père... On a peur d'être envoûtée. Surtout si c'est une grossesse précieuse. On a peur de la sorcellerie, et de perdre la grossesse. On entend ce genre de raisonnement. Mais on essaie de faire comprendre que c'est dieu qui donne l'enfant, que ce n'est pas l'homme ni les sorciers.>

Gisèle : < 70 à 80 % des jeunes femmes enceintes de Savalou se rendent aux consultations prénatales des septième et huitième mois de grossesse.>
Après sa terminale, Doria a suivi trois ans de formation à Cotonou.
Après son BEPC, Bérénice a suivi les cours de l'Ecole nationale des infirmières brevetées pendant trois ans. 

L'impact de ce suivi temporaire de femmes se préparant à donner la vie mais évoluant dans un contexte quotidien éloigné des préoccupations sanitaires de base, serait un échec s'il ne dépassait le cadre du suivi de la maternité. Ces consultations sont aussi des espaces de sensibilisation à la planification familiale (l'avortement est illégal au Bénin), et  aux risques de contagion du sida. < Toutes les femmes sont encouragées à espacer les naissances, à respecter au moins deux ans entre chaque grossesse, précise Doria. Les femmes comprennent qu'avec des naissances rapprochées, on multiplie les risques. A cause de la chèreté de la vie, du coût prohibitif des médicaments comparés aux faibles moyens dont elles disposent >, et considérant que les maris ne prennent leur part du fardeau qu'à la marge, < les femmes commencent à crier au quatrième enfant. La plupart en veulent trois au maximum.>



Gisèle, Bérénice et Doria, un trio majeur dans la conquête de son affranchissement par la femme de Savalou. Les trois jeunes femmes verraient d'un bon oeil l'apport d'un soutien extérieur à leur action. Elles lancent par ce blog un appel à partenariat.
Un test de dépistage du VIH est proposé dès < le premier contact >, poursuit Doria. < Si la femme refuse, on laisse et on le propose au second rendez-vous, puis à nouveau au suivant s'il y a un nouveau refus. On essaie de convaincre sur l'intérêt à s'y soumettre. On ne nous a pas donné l'autorisation d'effectuer le dépistage systématique. A chaque visite, on insiste. Réaliser le test sans le consentement de la patiente serait immoral, et c'est interdit. Le taux de prévalence du Bénin s'est stabilisé autour de 1,8 à 2 % de la population, selon les chiffres officiels.>


lundi 27 février 2012

Abomey au carrefour d'une contruction identitaire

Dans l'histoire du Bénin, la guerre de résistance menée contre le colonisateur français par le roi d'Abomey, Behanzin, et son armée d'amazones, a beaucoup contribué à construire une identité nationale. Behanzin : un roi martyr mort en exil, magnifié par la conscience collective, héritier en fait d'un royaume qui avait érigé l'esclavagisme et le droit de vie et de mort comme règles dans les relations entre vainqueurs et vaincus.

Le mivede rendait la justice ; il était le deuxième personnage du royaume d'Abomey et la charge était transmissible. Au premier plan, le hall d'attente de la maison du mivede devenue maison de culte traditionnel ("Alottodedekin") par lequel étaient introduits les justiciables et autres solliciteurs.


Un fait qu'il est bon de rappeler à tous les commentateurs, historiens avertis ou non, tentés d'expliquer la colonisation à l'aune de notre échelle de valeurs humaniste contemporaine occidentale. Les ressorts de l'histoire ne se décrypte pas à partir d'un code de morale. Moins encore quand le code de pensée a trempé, cent cinquante ans durant, dans la mauvaise conscience "formolisée".

Du palais ne subsiste qu'un informe amas de terre rouge. Mais la famille du mivede semble y résider toujours.

A Abomey, l'autochtone est fier de son histoire, fier d'avoir été un peuple vainqueur, fier de sa lignée royale qui s'est fortifiée en faisant couler le sang. Plutôt que se mortifier sur les suppliciés du système très autocratique d'Abomey, l'autochtone a cultivé une sorte d'orgueil hautain et autoritaire, une sorte de défiance innée vis à vis du "yovo" prédateur que l'on ne ressent pas ailleurs au Bénin ni davantage dans la sous-région. Comme si la déportation de Behanzin (en 1894 en Martinique, après quatre ans de règne) devait demeurer pour l'éternité un motif de litige irréductible entre Béninois fons et Français.

Zomadonou est le premier vaudou < arrivé > à Abomey, et à ce titre le chef de tous les vaudous du peuple fon. Cet édifice construit en 1704 (selon la chronique officielle) < avec le sang des humains > par le roi Akaba, est aujourd'hui un grand lieu de culte, qu'il n'est pas aisé de pouvoir photographier sans se faire apostropher ou "racketter".
Mais qui connaît au Bénin (et à Abomey) tous les tenants et aboutissants de cette histoire ? De quelles sources disposons-nous ? Des rapports militaires, de la chronique colonisatrice et des représentations fantasmagoriques de la mémoire orale locale dont se sont pétries, depuis plus d'un siècle, la culture et l'identité populaires. Pour se construire, les Nations ont autant besoin de véracité historique que de figures héroïques : il en va de Behanzin pour le Bénin, comme il en va d'Achille et Agamemnon dans la Grèce classique, de Constantin dans la Rome chrétienne ou de Vercingétorix dans la France post-révolutionnaire.

Zomadonou signifie "On ne peut dompter le feu avec la langue". Ce vaudou-dieu est né avec toutes ses dents, parlait, fredonnait, dirigeait ses ministres au premier jour de sa vie. Cette dame en serait la grande féticheuse
A celà, il faut ajouter qu'Abomey est aujourd'hui au Bénin l'une des rares villes à compter un patrimoine bâti historique, avec notamment la cité royale. Un élément qui contribue fortement à flatter le sentiment ethnocentrique de ce peuple fier, même si ce palais a été sauvé et reconstruit grâce à des programmes internationaux (qui s'en soucie à Abomey ?). La culture de la préservation du patrimoine et de la momification des traces matérielles de l'histoire est en fait complètement étrangère à celle du Bénin et pour tout dire de l'Afrique.


Pénurie de carburant au Bénin et au Togo

Dépendant quasiment à 100 % de son voisin nigérian pour sa consommation de carburant, le Bénin a rencontré, pendant le mois de janvier, les pires difficultés pour s'approvisionner. Conséquence directe de la crise qui paralyse la filière de distribution nigériane, depuis que Lagos a décidé de ne plus subventionner le carburant... et indirectement de cesser d'entretenir l'économie pétrolière informelle.

Attente, patience... Une station-essence assiégée

Au Bénin, la vente de carburant fait vivre des centaines de milliers de personnes. Les petits revendeurs n'ont pas droit de cité, mais ont pignon sur rue. L'activité est "officiellement" interdite, mais se déploie au vu de tout le monde. Et sauf les grands pétroliers et autres banques, tout le monde y trouve son compte : les trafiquants bien-sûr, au premier rang desquels on cite les douaniers, gendarmes et politiques ; les détaillants qui trouvent là matière à arrondir leurs revenus ; les usagers et notamment les zemidijans (moto-taxis), devenus par leur nombre, une puissance socio-politique qui compte. L'ex-président Kérékou avait failli embrasé le pays il y a une dizaine d'années, en s'attaquant de front à l'éradication de ce trafic. Il avait reculé. Et dans les semaines qui suivirent, les stations de fortune réapparurent plus nombreuses qu'avant la crise.

A Cotonou et son agglomération, en temps d'approvisionnement normal, des stations-carburant illégales se succèdent tous les cent ou deux cents mètres.
















 Les revendeurs ont fait des petits depuis cette époque, jusqu'à contrôler le marché. 90 % de la distribution peut-être ? Boycottées, les stations essence, toute rutilantes dans leur peinture immaculée, continuent à faire le désespoir des groupes pétroliers. Elles s'étaient multipliées au lendemain de la tentative de normalisation de Kérékou... En pure perte.






Et à l'image des usagers qui ont préféré patienter dans des queues interminables, une journée voire une nuit entière, plutôt que casquer une fois et demie le prix ordinaire, les revendeurs se sont tournésr vers les stations-essence pour s'approvisionner, jusqu'à tarir les stocks. A Abomey, alors que les stations étaient complètement syphonnées, les petits trafiquants ressortaient leurs réserves, pour revendre à des prix prohibitifs (jusqu'à 1000 CF, 1,52 euro) du carburant acheté au prix officiel la veille peut-être (500 CFA le gazole, 570 CFA  le super). Considérant que la limite spéculative était largement dépassée, le gouvernement a fixé un prix à ne pas dépasser... Peine perdue. Quelques ruades  gendarmesques bien senties sur des récipients plein de carburant renversé à terre a pu faire revenir à la raison les récalcitrants.





A Dassa, noeud de communication économique important au Bénin, les stations ont été prises d'assaut.



Sous la pression politique et les risques d'émeutes, le gouvernement nigérian a senti qu'il était urgent de faire marche arrière. Et a renvoyé aux calendes grecques son projet d'assainissement de la distribution. Deux semaines après ce dénouement politique, les petits revendeurs ont reconstitué leur stock et le marché béninois a recouvré sa stabilité : la preuve, qu'au Bénin, la filière informelle reste la clé de voûte de tout le système économique.

Pénurie identique à Kpalamé, au Togo, où une cohue indescriptible se pressait dans les deux ou trois stations encore approvisionnées. Pour des heures d'attente...

Au Togo, où multinationales et concessionnaires nationaux privés se partagent le marché, la crise n'a pas été moins ressentie et s'est prolongée davantage encore. Alors que les bidons plastique de 5 litres et autres jéroboams réapparaissaient sur le bord des grands axes bitumés et des pistes du réseau routier secondaire du Bénin, les usagers motorisés togolais continuaient à mettre leur patience à l'épreuve.